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Un Bayashi au Japon
16 juin 2016

Obseques japonaises

La semaine derniere j'ai assiste pour la premiere fois a des obseques japonaises. Ce n'est pas tres joyeux a raconter mais c'est une experience suffisament rare pour valoir la peine de prendre le temps de la consigner ici. Ca pourra egalement aider d'autres personnes, en reduisant le stress du a l'ignorance des us et coutumes, en plus de la charge emotionnelle deja induite par un tel evenement. Ma propre experience n'est pas pour autant a prendre comme definitive et absolue, a l'interieur meme du Japon les evenements se deroulent de facon au moins legerement differente en fonction des regions et des affiliations religieuses, et chaque famille gere bien entendu la situation a sa maniere en fonction des circonstances. Les usages evoluent egalement avec les nouveaux modes de vie (eloignement geographique par exemple).
Apres le deces du defunt a l'hopital, la depouille est immediatement emmenee dans sa maison. On l'a couchee dans son futon dans la piece principale, avec un petit autel a sa tete (des bougies, de l'encens, un gong, des fleurs, un bol de riz avec des baguettes plantees dedans a la verticale, une photo du defunt). Le visage du defunt est cache sous un mouchoir blanc, mais les personnes qui viennent prier le mort peuvent le relever pour le voir. Le defunt reste ainsi toute la journee pendant que l'on organise les obseques (お葬式, osoushiki) avec une compagnie de pompes funebres. La famille et les amis viennent petit a petit pour prier et bruler de l'encens. A l'entree de la maison, un panneau annonce le deces avec le nom (precede du kanji 故,ko, signifiant 'feu'), la date de naissance, la date de deces, et l'age du defunt. Sur ce dernier point, l'age peu varier car selon la branche religieuse a laquelle le defunt est affilie on compte a partir de la naissance ou de la conception. Il peut donc y avoir un an de difference. Au dessus de la porte d'entree, un sceau est appose pour signifier que la maison est en deuil (喪中, mochuu).
Jusqu'a la fin des obseques il doit toujours y avoir quelqu'un pour veiller le mort. Les obseques ayant normalement lieu le jour suivant, la premiere nuit est une veillee funebre (通夜, tsuya) pendant laquelle au moins une personne, a tour de role, reste eveillee pour prier, remplacer les bougies et bruler de l'encens. La veillee a normalement lieu aux pompes funebres, mais si le jour suivant est un jour funeste dans le calendrier zodiacal, les obseques sont repoussees d'une journee, sans quoi le defunt emporterait quelqu'un avec lui. Dans mon cas il y a donc eu une premiere veillee funebre a la maison du defunt, puis une seconde le lendemain aux pompes funebres. A part la personne qui veille, les autres dorment dans la meme piece que le defunt, et doivent avoir la tete tournee vers lui.
Le corps du defunt est emporte en corbillard, mais c'est la famille qui le manipule. On lui enfile d'abord des sortes de chaussettes et de gants, qui symbolisent la longue marche qu'il va faire jusqu'au royaume des morts. Il y a egalement une canne (un simple 'T' en bois blanc), un sachet de riz, un sachet de the et un billet de 1000 yen dans le cercueil pour la meme raison. Le cerceuil est blanc, alors que les vetements des personnes assistants aux obseques doivent etre noirs (plus le noir est sombre et plus cela montre du respect, et plus le costume est cher bien sur; des connaissances lointaines peuvent se contenter d'un costume gris fonce). La famille porte ensuite le corps dans le cerceuil, y place des objets personnels que le defunt emportera dans son voyage, place le couvercle mais ne le ferme pas, et porte le cerceuil jusqu'au corbillard. Les pompes funebres emmenent egalement les vetements choisis par la famille pour habiller une derniere fois le defunt.
On se rend ensuite aux pompes funebres ou une premiere ceremonie a lieu. Le defunt est expose sur un autel recouvert de fleurs. Une video est diffusee, resumant la vie du defunt, et un moine vient prier pour lui. Pendant que le moine prie, les personnes qui assistent a la ceremonie viennent a tour de role prier et bruler de l'encens sur l'autel. L'encens ici n'est pas sous forme de batonnet a bruler a la bougie, il est sous forme de poudre que l'on prend dans un bol, presente au defunt, puis fait tomber en trois fois dans un bol ou couvent des cendres. Il est bien d'avoir un chapelet (念珠, nenju) en main lorsqu'on prie. Cette premiere ceremonie dure un peu moins d'une heure.
Ensuite le defunt est deplace dans une piece voisine sur un autre autel, et les personnes presentes mangent ensemble dans cette piece. Le repas est simple et l'ambiance est joyeuse pour ne pas attrister le defunt. On boit de l'alcool, et on donne a manger au defunt le meme repas. Beaucoup de nourriture (des fruits et des gateaux surtout) est amenee par la famille et les amis. On l'offre d'abord au defunt en la placant sur l'autel, mais au bout d'un certain temps on la consomme nous meme, apres avoir demande symboliquement la permission au defunt. On veille aussi toujours a ce qu'il ait au moins un bol de riz a manger durant toutes les obseques, avec les baguettes plantees a la verticale pour le representer en train de manger. Le moine fait aussi semblant de manger pendant la priere pour le nourrir par procuration.
Le lendemain matin a lieu la ceremonie principale et l'incineration. Le defunt est revenu dans la piece de ceremonie de la veille. La video est une nouvelle fois diffusee car les personnes qui assistent a la ceremonie principale sont plus nombreuses. Le moine vient a nouveau prier, mais cette fois ici il porte des vetements de ceremonie, et fait son entree depuis l'exterieur de la salle en jouant sur le ton de sa voix pour donner l'impression qu'il arrive lentement de tres tres loin (il fait de meme au moment de partir). On prie et brule de l'encens a nouveau. La famille, qui est situee a cote de l'autel, est saluee par chaque personne venant prier et la salue en retour. Puis l'aine(e) fait un discours. Enfin on remplit le cerceuil avec les fleurs offertes par la famille et les amis, et la famille ferme le cercueil. L'aine(e) sort en premier de la salle, suivi d'un autre membre de la famille qui porte le portrait du defunt, face visible, et le cerceuil est charge dans le corbillard.
Le cortege funeraire part ensuite pour le crematorium. Le corbillard klaxonne longuement au moment du depart. L'itineraire jusqu'au crematorium et au retour est choisi pour 'desorienter' l'esprit du defunt et l'empecher de revenir sur ses pas. Au crematorium, un autre petit autel a ete prepare, ou le moine fait a nouveau une priere, ainsi que chaque personne presente. On defile ensuite devant le cercueil et on peux voir une derniere fois le defunt par une fenetre dans le couvercle. Ensuite la cremation est declenchee par ses enfants. Durant la cremation, on se reunit dans une piece voisine pour dejeuner.
Lorsque la cremation est terminee, on revient dans la premiere salle ou attendent les restes du defunt. Ses enfants placent ensemble le premier os dans l'urne a l'aide de longues baguettes, puis les autres personnes presentes placent chacune un os ou fragment d'os dans l'urne a tour de role. Les enfants du defunt finissent de remplir l'urne jusqu'a ce qu'il ne reste que des cendres. L'ordre dans lequel on insere les os dans l'urne est important : des pieds a la tete, un membre des pompes funebres a explique au prealable quels sont les os restants parmi les cendres afin que l'on ne se trompe pas. Les deux derniers restes inseres dans l'urne sont la pomme d'Adam, dont la forme evoque un bouddha assis, et le sommet de la boite cranienne, qui symbolise le couvercle de l'urne (qui est ensuite scellee). L'aine(e) sort ensuite du crematorium en portant l'urne, suivi d'un membre de la famille qui porte le portrait du defunt, face cachee.
Le cortege va ensuite au cimetiere pour deposer l'urne dans le caveau familial. A nouveau le moine prononce une priere et chacun brule de l'encens. Enfin le cortege retourne aux pompes funebres ou le moine dit une derniere priere, pour le defunt d'abord puis pour les personnes presentes afin de nous laver de l'impurete associee a la mort. Un petit ruban blanc que chacun a porte a son poignet ou sa poche de costume est collecte par le moine et brule ensuite, egalement pour nous purifier par procuration. La ceremonie est alors finie et on dine tous ensemble. Certains en profite pour faire un dernier discours avant que chacun rentre chez soi.
Les demarches religieuses ne s'arretent pas la pour autant. Dans les jours qui suivent on continue a veiller le defunt sur un autel installe dans la maison, mais on n'a pas besoin de rester eveille toute la nuit. On lui sert a manger, entretient les bougies, brule de l'encens et prie regulierement. L'esprit du defunt voyage jusqu'au royaume des morts pendant 49 jours. Il faut donc veiller sur lui durant cette periode. Le 49e jour apres le deces, une nouvelle ceremonie a lieu, puis une autre pour la premiere fete des morts (お盆, obon), puis pour le 100e jour. Il y a beaucoup d'autres etapes, trop pour que je les retienne toutes, qui sont indiques sur un calendrier fourni par le moine, mais si j'ai bien compris il se charge de prier pour nous pour ces evenements 'secondaires'. Pendant la premiere annee qui suit le deces il y a egalement de nombreuses superstitions et regles, comme ne pas se baigner en mer au risque d'etre emporte par le defunt ou ne pas presenter ses voeux pour la nouvelle annee. Si on vit eloigne du caveau, on peux emmener la planchette de bois de l'autel sur laquelle figure le nom du defunt (位牌, ihai) et la veiller par procuration.

 

 

 

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Commentaires
B
Intéressant de lire cette expérience. Les rites funéraires reflètent (aussi) les cultures.
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