Changer ...
J'entame ma troisieme annee de vie ici. Le passage d'une barriere symbolique peut etre. L'avant etait associe au precaire, au vivotage dans les projets a court terme. L'apres ouvre l'horyzon, peu importe si mon visa n'a ete renouvele que pour un an, il n'est plus une barriere a mes yeux, juste une etape administrative, desagreable mais elles le sont toutes. Cette barriere symbolise sur la ligne du temps un point qui marquerait le passage du "ca y est je me sens chez moi ici, plus la bas", meme si ce point n'en est pas un, plutot une longue glissade d'un extreme a l'autre sans frontiere nette au milieu. Glissade qui a demarre en mettant le pied ici et ne s'arretera jamais si l'on en croit les instropections de ceux qui ne comptent plus leurs annees d'exile. Une glissade si douce qu'on n'y pense que lors de petits "accidents".
Exemple recent numero 1. On me presente une Francaise venue passer quelques jours de vacances au Japon. Elle s'avance immediatement vers moi avec une attitude 'etrange'. Je sens qu'il y a quelque chose qui m'echappe, quelque chose a faire que je sais mais qui est sorti du groupe des reflexes, qui a perdu juste assez de sa spontaneite pour laisser place a de la gene. Je feins de n'avoir rien vu pour gagner quelques instants de reflexion, laisser le temps a la bulle de remonter a la surface. Elle me tendait simplement la joue pour me faire la bise. Cette petite seconde de perplexite pour une reponse 'evidente', 'naturelle', c'est un gouffre qui s'est creuse en moi.
Exemple recent numero 2. Le nouvel hotel dans lequel je travaille(rai, on est encore en train de le preparer) est de style occidental. Pas de tatami, des lits avec futons mais des lits quand meme, pas de dechaussage de chaussures a l'entree, pas de table basse, de nattes pour s'asseoir au sol, ... Je trouve ca insupportable. Je trouve ca laid, sale, pas pratique... Chaque jour je m'afflige en pensant a ce que va donner le menage avec tout les clients qui circuleront en chaussure partout. Que ce soit pour le boulot ou non, je ne supporte plus le mobilier occidental. Mais ce n'est pas une nouveaute, ma conversion dans ce domaine est faite depuis longtemps. Seulement la deception de voir mon nouvel environnement de travail de type occidental a ete telle que je me suis soudainement rendu compte a quel point cette conversion est profonde.
Exemple recent numero 3. J'ai renoue avec le commuting, le transfert de son lieu de vie a son lieu de travail en transport en communs. Ce merveilleux moment de communion du peuple sans distinction d'age, de milieu social, de sexe, ..., contraint a partager un espace trop etroit qui efface les frontieres de l'espace prive. Seules quelques etrangers curieux ou des passionnes d'ethnologie y voient le paradis, les autres s'evadent dans la lecture de leur journal/livre, dans l'univers virtuel de leur console de jeu, dans une discussion quelque part sur la toile via leur telephone portable, ou encore, ce qui marquent le plus les etrangers il me semble, dans les brumes du sommeil. J'etais deja un tres fervent adepte de cette derniere activite qui m'a valu une certaine reputation sur la ligne St Lazare-Les Mureaux, et eventuellement quelques detroussages de poches, j'ai donc rapidement grossis les troupes de dormeurs que Suparoban aime tant photographier (ces deux la me plaisent enormement). Ici je reste une curiosite, mais pas parce que je suis different, parce que je suis pareil. A plusieurs reprises, alors qu'un chaos du wagon un peu plus violent que les autres me soulevait une paupiere, j'ai vu ces regards amuses et perplexes de ceux de la banquette d'en face qui au lieu de se derober insistaient, cherchant a comprendre "de quel cote" je suis...
Je n'ai encore jamais utilise l'epaule d'une belle inconnue comme oreiller, mais dans le cas de sieges 'face-a-face', pas mal de malheureux ont deja recu sur les doigts de pied mon telephone ou bien le livre que j'essayais en vain de lire ... :-)
Et j'ai aussi redecouvert le petit jeu "te reveilleras tu a temps pour descendre a ta station aujourd'hui ?" ... :-))
Bon et puis rassurez vous, je n'oublierai jamais ni ne renierai une foi inebranlable en la suprematie du camembert, du lapin a la moutarde et de la trompette de la mort servis avec un verre de blanc d'alsace ! ;-)